
Marché des céréales
Le calme entre deux tempêtes
Le retour des prix des grains à leurs niveaux de 2021 ne va pas durer. Au cours de la prochaine campagne 2023-2024, de nouvelles tensions sur les marchés des céréales apparaîtront, selon Philippe Chalmin, coordinateur du Cyclope 2023.
Les prix des grains sont revenus à leurs niveaux de 2021. Les négociations sur la reconduction du corridor de la Mer Noire ont à peine impacté la baisse continue des cours des céréales entamée depuis l’automne dernier. « Le conflit en Ukraine ne constitue plus un risque pour les opérateurs, analyse Philippe Chalmin, coordinateur du Cyclope 2023 présenté le 23 mai dernier. Sur les marchés, les cours n’intègrent plus aucune prime de risque géopolitique ».
Mais après quinze mois de guerre, le corridor ne revêt plus le même enjeu géostratégique qu’à l’été 2022. L’Ukraine est un pays affaibli. Ses capacités d’exportations de céréales seront réduites de moitié au cours de la prochaine campagne 2023-2024 par rapport à 2021-2022. Le maïs que l’Ukraine n’est plus en mesure de produire et de vendre est fourni par le Brésil et les Etats-Unis.
Dans le même temps, les prévisions pour la campagne céréalière 2023-2024 sont chaque semaine un peu plus rassurantes. La production mondiale (2 293 Mt) croîtra jusqu’à atteindre le niveau de 2021-2022, selon le Conseil international des céréales.
La production mondiale de blé sera mieux répartie à la faveur des pays à l’export sûrs - Union européenne, Etats-Unis - éloignés du Bassin de la Mer Noire.
Au Canada, la récolte de blé dur (5,4 Mt), en grande partie disponible à l’export, contribuera à détendre les prix de la céréale puis des pâtes.
Enfin, en cette période d’inflation, la stagnation de l’économie mondiale active la baisse des cours des grains. La Chine ne renoue pas avec la croissance économique comme l’escomptaient les experts à la fin de l’année passée.
L’Empire du milieu annule même la plupart de ses commandes de maïs passées avec les Etats-Unis et avec le Brésil alors que ce dernier engrange une récolte record de 125 Mt (+ 43 Mt).
Ces désengagements participent aussi au repli des cours. Mais pour les pays importateurs de la rive sud de la Méditerranée, le retour à une conjoncture favorable de prix rendra moins onéreux les centaines de milliers de tonnes de blé supplémentaires qu’ils seront contraints d’acheter (30 Mt ; + 2 Mt sur deux ans) pour compenser leurs productions déficitaires (17 Mt ; - 3 Mt sur deux ans). La sécheresse a de nouveau sévi dans cette partie du globe.
Mais dans l’Union européenne, les céréaliers produiront à pertes (cf. encadré) car à leurs niveaux actuels, les prix sortie ferme ne couvriront pas leurs coûts de production.
Des tensions en perspectives
« Après la période d’accalmie sur les marchés, une nouvelle tempête est redoutée si les conditions climatiques se détériorent dans l’hémisphère durant la campagne 2023-2024 », explique Philippe Chalmin. Avec comme conséquences, une baisse des rendements et des prix des grains qui pourraient alors de nouveau augmenter fortement.
Dans l’océan Pacifique, le retour d’El Nino annonce des périodes de sécheresse en Australie. En Inde, la mousson a déjà été plus faible que les années passées.
La Chine, le premier pays importateur au monde de céréales (49 Mt en 2023-2024), pourrait acheter davantage de blé ou de maïs qu’escompté si l’Empire du milieu renoue enfin avec la croissance économique. Elle commandera aussi plus de grains s’il décide d’accroître ses stocks, déjà colossaux dans l’hypothèse où les relations avec Taïwan deviennent conflictuelles….
Enfin, les consommations mondiales de blé (+ 11 Mt) et d’orges (+ 4 Mt) vont croître sensiblement durant la campagne 2023-2024, tirées par la démographie. Et la production mondiale de blé dur (32,4 Mt) restera de nouveau déficitaire d’1 Mt.
Or le CIC anticipe déjà une baisse des stocks de fin de campagne en 2024 des pays exportateurs majeurs de grains par rapport à leurs niveaux au mois de juin 2022.
En prenant en compte toutes ces considérations, les marchés des grains ne manqueront pas de réagir, au moindre incident climatique ou géopolitique, faute de marge de manœuvre.
L’Union européenne dans l’attente de la nouvelle récolte prometteuse
A quelques jours de l’été climatique, l’optimisme est de rigueur dans l’Union européenne. D’après le bulletin JRC March de la Commission européenne, le rendement potentiel des cultures de blé d’hiver et d’orge d’hiver est de 6,0 tonnes par hectare, + 4 % par rapport à la moyenne quinquennale.
Le CIC anticipe du reste une production de blé de 137 Mt et d’orges de 51 Mt. La sécheresse dans la péninsule ibérique pénalise les Vingt-sept sans impacter les marchés.
En France, plus de 90 % les conditions de cultures des céréales d’hiver sont bonnes à très bonnes.
A près d’un mois de la fin de la campagne, l’Union européenne a déjà vendu autant de blé que durant 2021-2022 (27,9 Mt en semaine 45). Dans le même temps, 8,3 Mt d’orges ont été exportées et 23,6 Mt de maïs ont été importées.
Un tiers du blé et les deux tiers de l’orge exportés ont été expédiés depuis la France.
Le Maroc est le premier pays importateur de blé (4,2 Mt) devant l’Algérie (3,9 Mt).
L’Ukraine a bénéficié de l’ouverture du marché européen pour y expédier 4,9 Mt de blé, 13,1 Mt de maïs et 0,8 Mt d’orges.