Discours de Dominique Chargé
Discours de clôture du Congrès de La Coopération Agricole - 18 décembre 2019
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues,
Je tiens tout d’abord à saluer les échanges de cet après-midi, riches, et à remercier l’ensemble des intervenants...
- Les présidents des Jeunes Agriculteurs de France et d’Europe, Samuel Vandaele et Jannes Maes
- Enrico Letta, qui nous a fait l’honneur de nous proposer une analyse passionnante sur l’Europe et ses perspectives
- Jean Viard qui nous a fait l’amitié d’intervenir à distance pour nous alimenter des perceptions des jeunes générations, en bravant les obstacles grâce aux nouvelles technologies
- Nos jeunes talents du réseau coopératif enfin, Anne-Sophie Delassus et Benjamin Latte.
Merci à tous pour vos regards passionnés et passionnants, engagés, dynamiques, parfois en rupture, qui nous donnent une lecture de notre monde, des opportunités et des défis auxquels nous avons à répondre.
Nous sommes des entreprises, nous sommes des agriculteurs. Nous sommes la France des territoires.
Ensemble, nous sommes là pour penser, écrire l’agriculture de demain et une nouvelle page de notre histoire commune.
Nous avons une phrase dans notre mouvement, que j’aime souvent à rappeler parce qu’elle dit qui nous sommes : la coopération, nous l’avons héritée de nos parents et nous l’empruntons à nos enfants. Notre mission est de la transmettre. Notre responsabilité, c’est de l’adapter à notre époque : ce qui guide les coopératives, ce ne sont donc pas les injonctions, parfois contradictoires, du législatif et du réglementaire. Ce sont les attentes des producteurs, la sanction des clients et des consommateurs, et le maintien d’une dynamique agricole, d’une vie économique et sociale dans nos territoires.
Je voudrais commencer par parler de vous, de nous, en rendant hommage aux agriculteurs.
Vous le savez, nous sommes dans ce monde en transition, dans ce monde qui bouge si vite, dans un monde de plus en plus éprouvant et violent. C’est malheureusement vrai pour beaucoup de secteurs et de sujets : nous ne sommes ni des victimes, ni des bourreaux. Mais le monde agricole est blessé. Angoissé. Il est même en colère.
Alors, évidemment, nous entendons le désarroi et la forte incompréhension des agriculteurs, qui s’adaptent comme ils ont toujours su le faire. Mais ils ne peuvent suivre le rythme effréné qu’on leur impose. Il est urgent que la considération reprenne le dessus et que nous réparions cette fracture, si sensible, au sein de notre société.
Il y a des hommes et des femmes, des familles, qui sont en détresse. Je connais ces agriculteurs, nous en connaissons tous, qui peuvent se sentir dépassés, sans forcément l’être ou qui sont dans d’extrêmes difficultés. La prise en charge collective est indispensable. Des dispositifs d’accompagnement existent.
Mais chacun a un rôle à jouer. J’engage donc aujourd’hui l’ensemble des coopératives à s’impliquer dans le réseau AgriSentinelles : Repérer. Alerter. Agir. Trois verbes qui sont dans la vigilance et l’action : c’est bien le rôle des coopératives d’apporter aussi leur contribution. De proposer une partie de la réponse à la détresse de nos territoires. Laissons de côté les querelles de chapelle. Avançons en responsabilité, et en conscience.
Je pense également à ceux qui réussissent. Ils sont aussi très nombreux, et on en parle peu. C’est de notre responsabilité d’accompagner tout le monde. Parce que nous sommes LA colonne vertébrale du monde agricole, que, sans nous, il n’y a pas d’ensemble possible. Sans nous, il n’y a pas de territoires unis.
A ce titre, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs, chers collègues, je veux vous parler de nos valeurs. De notre ambition. De notre façon de voir et de construire l’agriculture de demain. Nous avons besoin d’un nouveau souffle. Nous avons besoin d’un nouveau projet commun. D’une identité nouvelle que je serai fier de porter avec vous.
Voilà notre nouvelle identité, rénovée, qui incarne notre vision et notre dynamique.
Nous sommes en responsabilités. Comptable de l’empreinte que nous laisserons. Nous agissons au service du collectif.
Monsieur le Ministre, ne comptez pas sur moi, ne comptez pas sur nous, pour faire un discours négatif. Ceux qui pratiquent l’agribashing ne le font que trop.
Dans ce changement perpétuel, nous avons le devoir de nous transformer. Pour ce faire, nous avons besoin de temps. De temps, de soutien, et de co construction.
Vous nous trouverez toujours à vos côtés pour avancer dans le bon sens. Et bien entendu, nous attendons la réciproque.
Le face à face nous est interdit. Au risque de casser le modèle agricole français. Au risque de tout perdre. Je vous propose plutôt d’être côte à côte, dans le respect des intérêts de chacun.
La prise de conscience est générale. Les agriculteurs sont au cœur de cette lutte pour des territoires toujours plus dynamiques et pour un meilleur environnement. Certains peuvent considérer que ça ne va pas assez vite. C’est sûrement vrai. Mais il y a le temps médiatique et des affichages opportunistes. Et puis, il y a le temps de la terre, de la réalité, et le temps des transitions. Le monde agricole s’est toujours adapté, et continue de le faire. Aussi vite que possible. Et surtout, le mieux possible.
De nombreux agriculteurs et coopératives sont déjà dans les transitions : agriculture biologique, Haute valeur Environnementale, techniques de bio contrôle, énergies renouvelables... A titre collectif, nous sommes aussi engagés dans des démarches pour la création de valeur et pour une meilleure information des consommateurs, que ce soit sur l’origine, ou de façon plus large. Je pense évidemment ici à des dispositifs comme NumAlim et NumAgri, au sein du Contrat Stratégique de Filière Alimentaire, que nous avions d’ailleurs signé ensemble.
Monsieur le Ministre, je tiens à saluer votre engagement et votre résolution à créer des conditions favorables au fonctionnement de la loi EGAlim. Nous sommes aussi déterminés dans cette démarche de création et de partage de la valeur et nous étions engagés dans la construction de tout ce processus, depuis les Etats Généraux de l’Alimentation jusqu’à l’élaboration des textes.
Monsieur le Ministre, vous le voyez, il y a dans nos coopératives de l’énergie à revendre, des agriculteurs qui ne demandent qu’à produire, des ingénieurs qu’à créer, des salariés qu’à progresser. Tous ont la volonté de participer au développement de notre agriculture et de faire gagner notre économie.
Nous entendons les enjeux sociétaux et nous sommes déjà engagés, au quotidien, pour y répondre. Mais pas à n’importe quel prix. Je souhaite ici insister sur deux points essentiels :
- Concernant le Bien-être animal, nous sommes engagés pour lutter contre la maltraitance des animaux, où qu’elle soit et quelle qu’elle soit. Nous y œuvrons et souhaitons être associés aux travaux des pouvoirs publics sur le sujet. Mais nous vous l’affirmons Monsieur le Ministre : il est hors de question de laisser assimiler systématiquement toute forme d’élevage, fusse-t-il intensif, à de la maltraitance. La bientraitance animale, c’est notre affaire. C’est notre métier.
- Le 2eme point concerne les pesticides: arrêtons de vendre du rêve aux consommateurs, au risque que ça devienne un cauchemar. Nous avons besoin de solutions alternatives pour assurer les transitions. Pour que les ruptures puissent se faire correctement/de la meilleure façon qui soit, il faut être réaliste et ne pas se laisser emporter dans le tourbillon de l’émotion collective. Restons rationnels et pragmatiques, justement pour apporter les bonnes réponses à nos concitoyens.
Nous sommes prêts, je vous le disais, à co construire. Mais il existe des lignes rouges : ce sur quoi nous ne dérogerons pas, parce qu’il fracture notre lien au territoire.
Deux points que je souhaite porter à votre attention, Monsieur le Ministre, et qui concerne les coopératives agricoles :
- Le 1er : sur l’ordonnance liée aux rémunérations abusivement basses : vous le savez, nous nous sommes mobilisés toute l’année, avec notre opération Touchepasamacoop. Nos fondamentaux, notre raison d’être, c’est d’appartenir aux agriculteurs, d’être à leur service et à celui de leurs territoires. Par la possibilité de rendre judiciaire la relation entre les adhérents et leur coopérative, nous fragiliserons, voire nous casserons, cette dimension : ce n’est pas responsable.
Les agriculteurs-coopérateurs ne sont pas les simples fournisseurs de leurs entreprises. Ils en sont les propriétaires, les actionnaires et les dirigeants. La solution ne peut pas être que dans la loi, elle est aussi dans l’évolution des pratiques. Et nous sommes engagés dans une dynamique d’amélioration continue : je vous avais d’ailleurs remis notre Guide de gouvernance au dernier Salon de l’Agriculture. Le processus de travail se poursuit, bien sûr, et je m’engage à vous en rendre compte, avec l’appui du HCCA. - Le second point porte sur la séparation vente/conseil. Je ne reviendrai pas en arrière. Nous ne sommes toujours pas convaincus, et nous ne le serons probablement jamais, que c’est la bonne mesure pour répondre à l’objectif, que nous partageons par ailleurs : réduire l’usage des produits phytosanitaires. Mais puisque c’est le dogme, nous en prenons acte.
Pour avancer, nous avons maintenant une urgence : finissons enfin d’écrire les règles du jeu et les textes qui permettront sa mise en œuvre. Avec le fonctionnement démocratique qui est le nôtre, comment imaginer que chaque coopérative soit en mesure de faire un choix, en conscience, et de le mettre en œuvre, avant le 1er janvier 2021 ?
En l’état actuel des choses, nous ne pouvons prendre ce risque. Je réitère donc notre demande, Monsieur le Ministre : donnez-nous au moins 6 mois supplémentaires.
Mesdames et Messieurs, j’en appelle à notre sens des responsabilités que je sais élevé, nous l’avons démontré à maintes reprises : les transitions sont une responsabilité collective. Nous, les coopératives, nous en sommes acteurs et moteurs, parce que nous sommes le trait d’union du monde agricole.
Et je vous fais part d’une conviction : notre réussite économique dépend de deux éléments : la confiance sans laquelle rien ne se construit. La compétitivité sans laquelle rien n’est possible.
Et nous avons aussi besoin de restaurer notre compétitivité. Et là encore, il y a une urgence.
Nous avons besoin d’être plus performants dans un monde libéralisé et concurrentiel. Un monde ouvert qui offre des opportunités mais nécessite d’être organisé, structuré, en un mot : compétitif. C’est d’ailleurs le grand oublié des Etats généraux de l’Alimentation. Cependant, le Pacte productif proposé par le Gouvernement, et dans lequel nous nous sommes engagés à contribuer, doit justement nous accompagner à restaurer notre compétitivité ; en réponse aux attentes des marchés, de tous les marchés ! Nos activités économiques, ce ne sont pas que les relations avec les distributeurs français. Ce sont également la restauration hors-domicile, l’industrie mais aussi l’exportation. La montée en gamme certes. Mais nous devons également être performants sur les entrées et moyennes gammes qui répondent à d’autres attentes consommateurs. Ce sont des volumes importants sur lesquels nous devons aussi apporter de la valeur pour les agriculteurs.
Je le répète, n’opposons pas les agricultures. N’opposons pas les modes de consommation. Pour relever pleinement le défi de la compétitivité, nous avons aussi besoin de :
- Stabilité juridique dans les relations commerciales. Il y a bien sûr des ajustements à envisager, comme un assouplissement de l’encadrement des promotions, notamment pour les produits saisonniers et festifs. Mais, globalement, laissons la Loi EGAlim accomplir un cycle complet de négociations et avisons ensuite. Là encore, tout n’est pas dans le réglementaire. Soyons surtout des acteurs responsables pour arrêter la spirale déflationniste et la destruction de valeur. Ce n’est pas là une naïveté de ma part : c’est une logique collective qui doit apporter un avantage à chacun des maillons. Nous devons nous appuyer sur des organisations de filières et sur le long terme. Si chacun respecte la loi et assume sa part de responsabilité, tout le monde doit y gagner : agriculteurs, entreprises, distributeurs, consommateurs... et évidemment, citoyens !
- Nous avons aussi besoin de plus d’Europe : Monsieur le Ministre, nous sommes des Européens convaincus. Il va de soi que l’Europe n’est pas le problème, mais doit bien être la solution. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons souhaité consacrer notre Congrès à cette dimension.
Nous avons besoin d’une Europe qui protège contre les distorsions : ça vaut pour la PAC comme pour les accords commerciaux au niveau international. La menace que fait planer aujourd’hui le président américain sur l’économie de nos filières ne pourra pas rester sans réponse.
Un autre point. Il est cette fois de progrès : l’orientation proposée par Mme Von der Leyen au travers du Green Deal doit fixer un cap positif et collectif en nous préservant de ces distorsions. Ce n’est pas de l’utopie. C’est du pragmatisme.
Enfin, cette Europe qui protège doit aussi le faire sur les risques, à la fois climatiques, sanitaires, économiques ou même géo politiques. C’est indispensable pour permettre aux agricultures de notre continent de mieux perdurer. C’est indispensable pour que les producteurs abordent leur activité avec plus de sérénité. C’est d’ailleurs un facteur essentiel de l’attractivité dont nous avons tant besoin pour renouveler les générations.
Dans cette Europe que nous voulons donc dynamique et positive, les agriculteurs de demain sont évidemment la clé de notre pérennité. Faisons-en sorte de leur offrir un avenir, une envie, et peut-être même un monde meilleur.
La confiance ne se décrète pas, elle se construit jours après jours. Et nous avons les valeurs qui nous permettent de le faire : elles vous ont été présentées dans le film. Vous l’avez entendu, elles sont plurielles.
Toutes ces valeurs vivent et grandissent chaque jour partout en France : notre raison d’être, ce n’est pas la rentabilité des capitaux à court terme. Notre indicateur de performance, c’est notre pérennité, en faisant le lien entre les attentes des agriculteurs, celles des consommateurs et la prise en compte des urgences qui font sens aujourd’hui, notamment le défi climatique et la protection de l’environnement.
Notre exigence, c’est donc de nous réinventer en permanence. Avec la conviction profonde que, ensemble et solidaires, nous serons toujours plus forts. Nous répondrons ainsi aux défis qui se dressent devant nous. Notre énergie, nous la puisons dans notre engagement envers vous, les agriculteurs, les entreprises, les consommateurs, les citoyens.
Nous sommes la France des Territoires : nous savons ce que nous devons à la terre, à celle que nous laisserons à nos enfants.
Nous sommes La Coopération Agricole. Et nous sommes fiers de ce que nous contribuons à construire chaque jour, en commun.
Ce nouveau souffle ne peut s’écrire sans vous.
Merci à toutes et à tous de votre engagement.
Monsieur le Ministre, si vous le voulez bien, nous vous écoutons.
Dominique Chargé
Président de La Coopération Agricole