Marché des céréales
Les relations commerciales en recomposition permanente
La géopolitique et le climat contrarient les fondamentaux des marchés des céréales. Les récents déroutages d’une partie du trafic maritime du canal de Panama et du canal de Suez modifient les relations commerciales étasuniennes. L’Ukraine exporte en Union européenne et délaisse l’Asie. La sécheresse en Australie pousse la Chine à s’approvisionner au Kazakhstan et en Russie.
Les prix des céréales sont toujours aussi faibles mais transporter des grains par navires est de plus en plus coûteux. Ces dernières semaines, le Baltic Dry Index, qui mesure notamment les coûts d'expédition des céréales, a flambé.
Le déroutage d’une partie de la flotte maritime par le Cap de Bonne-Espérance rallonge les délais d’acheminement d’une quinzaine de jours. Et comme les navires sont mobilisés plus longtemps pour effectuer des trajet plus longs, ils sont moins disponibles.
Par exemple, les expéditions de céréales américaines vers le Japon via le Cap de Bonne Espérance durent 54 jours, soit 19 jours de plus qu’en passant par le canal de Panama. Mais ce dernier est en partie paralysé.
Aussi, le Japon tente de s’approvisionner auprès d’autres pays plus proches.
Pour leur part, les Etats-Unis n’ont pas hésité à redéployer leurs échanges commerciaux. Tout en exportant 30 Mt de maïs depuis le début de la campagne de commercialisation (+ 29 % par rapport à 2022), ils ont privilégié la proximité et les trajets courts, relate l’USDA, l’organisme américain de statistiques.
Par voie maritime, 57 % des grains expédiés entre septembre et décembre ont été livrés au Mexique et en Colombie (versus 20 % au cours des quatre dernières années) et 3,8 Mt de grains ont été transportées par voie terrestre (versus 2,9 Mt au cours des quatre dernières années). Pour la première fois depuis six ans, le Salvador et le Guatemala ont acheté du maïs américain embarqué dans des ports de l’Océan du Pacifique nord.
Bassin de la Mer Noire et Méditerranée
Avant la guerre en Ukraine, les navires en partance de Russie, d’Ukraine et d’Union européenne avaient directement accès aux ports de la côte est du continent africain et à l’Océan Indien après avoir emprunté le canal de Suez et traversé la Mer Rouge.
Aujourd’hui, acheminer ces mêmes céréales est devenu très compliqué. Les navires sont quasiment contraints de passer par le Cap de Bonne Espérance pour atteindre en toute sécurité les ports de la côte est du continent ou pour livrer des céréales jusqu’en Asie.
Les attaques des Houthistes dans le détroit de Bab Al-Mandab, contre des navires qui tentent de regagner le canal de Suez, conduisent les grandes compagnies maritimes à revoir l’intérêt d’emprunter cette voie maritime.
Or ces derniers mois, une partie du trafic maritime du canal de Panama s’est reportée sur le canal de Suez. Traverser l’Océan Atlantique et la Méditerranée pour rejoindre l’Asie était alors la route maritime la moins longue.
Mais depuis la fin de l’année passée, la seule route maritime totalement sécurisée est finalement celle qui contourne le continent africain.
Pour le moment, ce déroutage massif ne perturbe pas l’approvisionnement de l’Union européenne en maïs importé du Brésil et en blé expédié du Canada. Les livraisons de soja non plus. Pour acheminer ces denrées, les navires traversent l’Océan Atlantique. Mais le transport de ces matières premières agricoles sera plus onéreux.
Les nouveaux partenariats commerciaux de la Chine
En guerre, l’Ukraine exporte essentiellement ses céréales en Union européenne et dans le bassin méditerranéen en empruntant le nouveau corridor qui longe les côtes bulgares et roumaines. Le marché asiatique est délaissé.
La Chine est en revanche la grande victime des difficultés de navigation sur les deux canaux de Suez et de Panama.
Premier pays importateur au monde de céréales (50 Mt environ), l’orge européenne importée était habituellement acheminée par le canal de Suez. Quant au maïs étasunien et au soja brésilien importés, une grande partie des quantités acheminées quittait le golfe du Mexique et franchissait le canal de Panama pour rejoindre l’Océan Pacifique.
Mais là encore, les relations commerciales de l’Empire du milieu ont toujours évolué au gré des relations géopolitiques qu’elle entretient avec les pays tiers. Mais le climat contrarie ses plans.
Après avoir boudé les céréales australiennes, la Chine les a convoitées lorsque la guerre en Ukraine s’est enclenchée. Mais cette année, l’Australie elle ne contentera pas tous ses clients. Et la Chine ne peut pas uniquement compter sur le Canada et l’Union européenne pour faire ses achats.
Dorénavant, l’Empire du milieu fait quelques emplettes au Kazakhstan et en Russie avec lesquels elle partage des frontières communes. Au cours des trois premiers mois de la campagne, le Kazakhstan a déjà expédié 300 000 tonnes de blé vers la Chine alors qu’aucun grain n’avait été vendu l’an passé, selon l’USDA.
Avec la Russie, les échanges commerciaux ont décollé une fois les restrictions commerciales levées. Un accord commercial signé avec une société d’exportation russe EPT prévoit l’acheminement de 70 Mt de céréales, d’oléo-protéagineux et de légumineuses au cours des douze prochaines années. En conséquence, le 1er pays exportateur de blé au monde a dorénavant comme partenaire commercial, le 1er pays importateur au monde de grains.