Marché des céréales
La solidarité a ses limites
Ces dernières semaines, les marchés des céréales évoluent de nouveau au gré des fondamentaux. Mais ils restent très réactifs à la moindre alerte.
Une des conséquences inattendue de la guerre russo-ukrainienne est l’arrimage de l’Ukraine à l’économie européenne. Il dépasse toutes les espérances.
Selon la Commission européenne, 4,5 Mt de blé, 800 000 t d’orges et 11,8 Mt de maïs ont été importées d’Ukraine. Le pays est le premier fournisseur de céréales des Vingt-sept !
Mais cet arrimage ne fait pas que des heureux ! En Hongrie, en Slovaquie, en Bulgarie et en Pologne, les céréales bon marché importées d’Ukraine entrent en compétition avec les céréales produites par chacun de ses pays où les prix se sont effondrés.
En France, le maïs hexagonal s’exporte mal car il est lui aussi concurrencé par la céréale ukrainienne.
En réaction, la Hongrie et la Pologne ont imposé unilatéralement une interdiction temporaire des importations de céréales et d'oléagineux en provenance d'Ukraine jusqu'au 30 juin 2023.
La Commission européenne était vent debout.
Mais ces dernières heures, un accord entre la Pologne et l’Ukraine limite le transit des grains aux seules céréales destinées à être réexportées.
Alignement des cours
Entre temps, la perspective d’une limitation des exportations d’Ukraine avait tendu les marchés des céréales. Mais le 20 avril dernier, la baisse de 7 € du prix de la tonne de blé a ramené ce dernier autour de 240 €. Ainsi, les cours du blé, de l’orge et du maïs sont de nouveau quasiment alignés, à quelques euros près.
Avant la crise sanitaire de la Covid, des cours autour de 240 € paraissaient inatteignables. Aujourd’hui, ces prix sortie ferme ne couvriraient même pas les coûts de production des cultivateurs s’ils se maintenaient à ce niveau l’été prochain, lorsque la prochaine récolte sera engrangée.
Or le prix de l’orge pourrait baisser dans les prochaines semaines car la céréale européenne est dorénavant concurrencée sur le marché asiatique par l’orge australienne juste récoltée et abondante. La Chine a en effet levé son embargo sur les importations d’orges australiennes pour élargir ses sources d’approvisionnement très restreintes par la canicule 2023.
En France, les craintes liées à la fumigation pour l’activité export ont été dissipées. L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) a clarifié les mesures annoncées, permettant de conserver l’usage de ce produit sous ce format tablettes non ensachées lors de chargement vers les Pays Tiers qui imposent ce traitement.
En effet, certains Pays Tiers demandent que les cargos de céréales soient traités avec des tablettes de phosphine en contact direct avec les grains entreposés dans les cales des navires dans lesquelles il est épandu.
Cette première prise de position de l’ANSES avait fait grand bruit dans le secteur. Pour les agriculteurs, c’est un cas d’école de sur-transposition française de la réglementation européenne. Alors que Benoit Piètremont, président du Conseil des marchés Grandes cultures de FranceAgriMer déclarait mercredi 12 avril qu’« un coup d’arrêt des exportations françaises ferait le jeu de la Russie ».
Dans le bassin de la Mer Noire
Les marchés des grains vivent très bien la prolongation de deux mois du corridor maritime sur la Mer Noire. En mars dernier, près de 4,8 Mt de grains ukrainiens ont pu être expédiées par voie maritime.
En fait, la Turquie, l’Ukraine et la Russie tirent chacun profit de ce corridor.
La réélection en Turquie de Recep Tayyip Erdoğan ou le changement de dirigeant n’influenceront pas l’intérêt des parties de prolonger le corridor maritime tant les enjeux économiques sont importants.
La Turquie a besoin des céréales russes et ukrainiennes pour fabriquer les millions de tonnes de farine qu’elle exporte vers ses voisins moyen-orientaux. D’ici la fin de la campagne, le pays aura acheté à la Russie et à l’Ukraine jusqu’à 10 Mt de blé et 4 Mt de maïs et d’orges.
En Russie, l’excellente récolte de blé est devenue au fil des mois un fardeau. Les agriculteurs ne se satisfont pas des prix proposés. Le pays est pressé d’exporter sa céréale en la vendant bon marché. La concurrence avec l’Union européenne et les Etats-Unis est très vive.
Selon l’USDA, la Russie devra en avoir vendu 45 Mt d’ici la fin du mois de juin pour désengorger quelque peu son marché intérieur. Selon Agroconsult, expert ukrainien, la Russie finirait la campagne avec des stocks de 27 Mt ! Aussi, le retour à une récolte « plus normale » cet été ne réduira pas les capacités d’exportation du pays durant la prochaine campagne.