Marché des céréales
Les marchés englués dans les prix bas
A moins de quatre mois de la fin de la campagne, la concurrence est vive. La Russie et l’Australie sont les deux principaux acteurs du marché du blé. L’Ukraine a exporté moins de céréales que l’an passé en Union européenne.
Les agriculteurs français broient du noir. Ils espéraient un début de printemps clément pour implanter les céréales qu’ils n’ont pas pu semer l’automne passé. Or les précipitations s’enchainent.
Seules 28 % des surfaces en orges de printemps ont été semées selon l’observatoire Céréobs de FranceAgriMer et seules 68 % des conditions de cultures du blé d’hiver sont bonnes ou très bonnes. L’an passé elles l’étaient à 95%.
Pas rassurants non plus, les cours du blé et du maïs sous les seuils de 190 € et 170 € la tonne même s’ils se sont redressés de quelques euros la semaine passée. Mais la concurrence ukrainienne aux frontières de l’Union européenne est ressentie jusqu’en France. La tonne de blé ukrainienne est commercialisée 171 € selon le Conseil international des céréales.
Sur les 3,8 Mt de blé et les 5,5 Mt de maïs achetées par l’Espagne à des pays tiers, hors de l’Union européenne, l’essentiel provient d’Ukraine. Celle-ci a déjà expédié 4,3 Mt de blé, 0,7 Mt d’orges et 7,7 Mt de maïs en Union européenne.
Cette préférence ukrainienne déteint sur les exportations françaises sur le marché européen. Pour le blé, FranceAgriMer n’estime plus qu’à 6,2 Mt les ventes de blé à ses Vingt-six voisins, soit 1,4 Mt de moins qu’escompté en début de campagne.
Pour autant, l’Ukraine a écoulé 2,5 Mt de grains en moins sur le marché européen depuis le début de la campagne, essentiellement du maïs. Les quantités de blé et d’orges expédiées sont quasi similaires à celles de l’an passé (respectivement 4,4 Mt et 711 000 tonnes).
Dans les trois mois à venir, l’Ukraine doit encore vendre 2,6 Mt de blé et 8 Mt de maïs et comme le trafic maritime a nettement repris sur la Mer Noire, les grains pourront être acheminés par cargos vers l’Afrique et l’Asie. Mais le canal de Suez reste une zone dangereuse. Aussi, les trajets s’allongent et le coût d’acheminement croît.
La concurrence ukrainienne s’ajoute à la pression qu’exerce la Russie sur les prix du blé.
Cette dernière doit encore écouler 18-20 Mt de grains au cours des quatre prochains mois sur un marché mondial qu’elle partage avec l’Australie et ses 30 Mt de blé et d’orges et blé exportables. L’Argentine ne constitue pas une grande menace.
Les prix des céréales sont aussi plombés par le maïs et ses stocks de report en net hausse aux Etats-Unis. A l’export, le marché chinois leur a complètement échappé.
Selon l’USDA, « du mois d’août 2023 à janvier 2024, le Brésil a exporté 45,2 millions de tonnes de maïs, la Chine représentant un tiers du total des volumes expédiés. D’après les données des douanes chinoises, le maïs brésilien représentait près de 85% des importations observées entre les mois de septembre et de décembre 2023 ».
Dans ces conditions, la décision de la Commission européenne de ne pas imposer des taxes aux céréales ukrainiennes pour protéger le marché européen n’est pas compris.
« Les agriculteurs soutiennent évidemment l’Ukraine mais ce n’est pas eux qui doivent payer la facture de la guerre », a déclaré Benoit Piétrement, président du Conseil spécialisé « Grandes cultures » de FranceAgriMer.
La place singulière de la Turquie
La France va achever sa campagne de commercialisation de blé avec des stocks élevés (3,7 Mt), soit 1,2 Mt de plus qu’à la fin du mois de juin 2023. Le blé produit en plus l’été passé par rapport à 2022 ne sera pas vendu. Mais vers les pays tiers, 10,1 Mt de blé seront exportées comme l’an passé.
L’Hexagone est le seul pays de l’Union à avoir exporté du blé (1,37 Mt) et de l’orge (2Mt) à la Chine, souligne FranceAgriMer.
Cette année, la Turquie occupe une place très singulière sur le marché mondial du blé. Elle ne fait pourtant pas partie du club restreint des pays exportateurs majeurs de blé de la planète. Mais le pays est à la fois un grand pays producteur (19,5 Mt en 2023), importateur (10 Mt) et exportateur de grains (9,3 Mt). Mais surtout, l’essentiel du blé exporté est commercialisé sous forme de farine.
En fait, la Turquie est le meunier du Moyen Orient et d’une partie de l’Afrique. Elle commercialise sa farine à des pays où l’industrie est défaillante ou en proie à la guerre. Depuis le mois de juillet, elle a déjà vendu près de 3 Mt de farine au Soudan, au Yémen et à Djibouti, plate forme logistique du Programme d’alimentation mondiale. Dans ce petit pays, une grande partie de la farine qui y est livrée est de l’aide alimentaire réceptionnée et distribuée par des Organisations non gouvernementales.
Chaque nouveau conflit moyen oriental ou africain est un nouveau marché. Le Soudan importe la farine qu’il ne produit plus. A contrario, « les importations syriennes de blé et de produits à base de blé ont diminué en raison d’un rebond significatif de la production nationale en 2023/24 après 2 ans de récoltes plus faibles », souligne l’USDA. Mais l’Iraq reste, année après année, le premier client de farine turque. Ses capacités meunières sont très insuffisantes pour pourvoir aux besoins de sa population.