Marché des céréales
Le Bassin de la Mer Noire, épicentre géopolitique des échanges commerciaux
Les flux des exportations de céréales sont entravés par le conflit entre la Russie et l’Ukraine et ses conséquences dont on n’en finit pas d’en mesurer l’ampleur.
La Campagne 2022-2023 ne ressemble à aucune autre. Son imprévisibilité rend les places de marché très nerveuses et les cours très volatils. Cette semaine, le prix de la tonne de blé a varié en vingt-quatre heures de plus de 20 € sur le marché de Rouen.
Le conflit en Ukraine imprime son empreinte chaque jour sur les marchés des céréales, défiant les règles fondamentales de compétitivité entre pays concurrents qui régissaient leur fonctionnement il y a encore moins d’un an.
Le dernier rapport du Conseil international des céréales (CIC) confirme que la production mondiale de grains (2 256 Mt) est déséquilibrée en plus d’être déficitaire de 18 Mt. Elle est abondante là où elle est la moins disponible à l’export.
En Russie, la récolte de grains est supérieure de 23 Mt à celle de l’an passé mais elle est inférieure de 50 Mt dans l’Union européenne et aux Etats-Unis. Le site sevecon.ru annonce même une production russe de blé de 100 Mt.
Les marchés des céréales ne sont pas envahis, comme les années précédentes, par un afflux de grains en provenance du bassin de la Mer Noire. Les quantités de blé et d’orges russes et ukrainiennes exportées depuis le début de la campagne ne sont pas suffisantes au regard des objectifs de campagne à atteindre par chacun des deux belligérants.
Pour exporter ses 51 Mt de grains, la Russie devrait expédier 5 Mt par mois. Or au mois d’août dernier, ses expéditions étaient quatre fois inférieures à leur niveau de l’année passée à la même époque, selon le site sevecon.ru. Les céréaliers russes semblent attendre des jours meilleurs pour vendre. Le marché intérieur du blé s’est effondré. Aux cours actuels, inférieurs de moitié à leurs niveaux de l’an passé, les agriculteurs russes affirment produire et vendre à pertes alors que se pose le financement de la prochaine campagne.
En fait, le climat n’est pas propice aux affaires. La parité du rouble, les taxes à l’exportation et la méfiance des compagnies d’assurance pour couvrir les embarquements de céréales entravent les exportations de grains. Et bien sûr, les prix des intrants flambent.
La Russie pourrait être très présente en second partie de campagne quand arriveront sur le marché les céréales récoltées dans l’hémisphère sud. Se profilerait alors un effondrement des cours mondiaux alors que les places boursières redoutent d’ici-là une récession économique mondiale.
En Ukraine aussi, les quantités de céréales expédiées par trains, camions et par cargos ne sont pas suffisantes au regard des volumes disponibles à expédier. L’Ukraine serait en mesure d’exporter 32 Mt de grains cette année mais une partie de la récolte 2021 est encore en stocks.
Par ailleurs, la Russie menace régulièrement de ne pas reconduire l’accord sur les corridors de la Mer Noire.
« En près de deux mois de fonctionnement, 235 navires transportant 5,4 Mt de produits agricoles à destination des pays d'Asie, d'Europe et d'Afrique ont quitté les ports ukrainiens. Des volumes bien inférieurs à ceux enregistrés chaque mois avant le conflit », expose Ukrainagroconsulting (UAC).
Sur le continent, « la Pologne est devenue la plaque tournante des exportations ukrainiennes vers les marchés internationaux, explique encore UAC. Mais les céréales en transit, expédiées en Pologne, en Slovaquie ou en Roumanie, entrent parfois en concurrence avec les céréales locales ».
A contrario, la campagne commercialisation européenne a démarré en flèche. 8,8 Mt de grains ont été expédiées en deux mois dont le tiers depuis la France.
Mais la situation actuelle appelle l’intervention de la communauté internationale pour réduire l’insécurité alimentaire mondiale. Les pays les plus pauvres n’ont pas les moyens d’accéder aux marchés des céréales tant les cours sont élevés.
La France et l’Allemagne ont décidé de financer les livraisons de céréales en Somalie et en Éthiopie. Le président Macron a aussi annoncé la création d’un dispositif pour aider les pays les plus défavorisés à acheter des engrais à des prix réduits. Ces décisions ont été prises à lors de réunions organisées en marge de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenue à New York, du 20 au 23 septembre,
Dans ce contexte, le fonctionnement apaisé du marché du blé dur, assis sur des règles commerciales saines, paraît une anomalie. Depuis le retour du Canada à l’export, les cours mondiaux se sont nettement apaisés. Le 29 septembre dernier, le prix de la tonne de blé dur était de 440 € à La Pallice, 70 € de moins qu’au mois de juin dernier. Le repli s’est enclenché au Canada quand la récolte de l’année s’est annoncée prometteuse (6,3 Mt selon StatCan) sans être pour autant être exceptionnelle.