Marché des céréales
L’accord sur le corridor maritime de la Mer Noire : la Russie souffle le chaud et le froid
Quatre jours après avoir annoncé le retrait de sa participation à l’accord sur les exportations de céréales ukrainiennes, la Russie annonce son retour. Mais en cherchant à ruiner l’Ukraine, le Kremlin prend le risque d’affamer une partie de la planète et de mettre en grande difficulté les agriculteurs russes.
De nouveau, ce sont les nouvelles en provenance du Bassin de la Mer Noire qui dictent les tendances marchés des céréales. Le week-end dernier, la Russie a montré qu’elle avait les moyens d’étendre, sur les marchés des commodités agricoles, le conflit qui l’oppose à la Russie en provoquant une nouvelle flambée des prix.
Au début de la semaine, le prix de la tonne de blé a augmenté sur le marché de Rouen de près de 20 € en deux jours et celui de la tonne de maïs de 15 € environ. Puis les cours de ces deux céréales se sont rétractées à 340 €/t.
Mais le week-end dernier, la Russie a pris le risque insupportable d’être, sur la scène internationale, le pays qui affame les « plus pauvres ».
Par ailleurs, faute de débouchés, les agriculteurs russes n’auraient aucun espoir de voir les prix des grains se redresser sur le marché intérieur.
En conséquence, si la Russie était restée sur sa position, l’effet boomerang aurait été dévastateur.
A partir du mois d’août dernier, l’accord maritime sur la Mer Noire avait permis la création d’un corridor maritime depuis les ports Ukrainiens vers la Turquie. En trois mois, près de 9 Mt de grains avaient pu ainsi être expédiées par voie maritime.
A l’avenir, « nous cherchons à savoir, si on ne peut pas passer par la Mer Noire », a déclaré le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau à RMC Radio, réagissant au retrait russe la semaine dernière.
Mais selon Olexsandr Pidlubnig, directeur d’une exploitation de 4500 ha dans la région d’Uman en Ukraine, la capacité d’exportations des grands ports de la mer Noire de la région d'Odessa dépasse considérablement en volume, en mobilité, en vitesse de chargement tous les autres solutions actuellement trouvées.
« Et si l’accord sur le corridor n’est pas reconduit le 19 novembre prochain, les pays européens accepteront-ils un nouvel afflux de trains et de camions à leurs frontières ? », s’interroge le directeur.
Le revirement en quatre jours de Moscou ne va pas renverser structurellement la conjoncture des prix sur les marchés agricoles ukrainiens. Au contraire, les prix des commodités vont peut-être même encore baisser car les stocks s’accumulent.
Les agriculteurs ukrainiens n’ont pas encore vendu l’intégralité de leur récolte 2021 alors qu’ils viennent de moissonner leur production de l’année. Des milliers d’hectares de maïs ne peuvent pas être récoltés car les planteurs n’ont pas moyens de financer le séchage des grains. La tonne de maïs est vendue 130 € ! Par ailleurs, la surface de blé d’hiver implantée est inférieure de moitié à l’an passé, selon Agritel.
Olexsandr redoute l’effondrement économique de l’agriculture ukrainienne. Sans fonds, les agriculteurs ne voient pas comment ils pourront financer leurs achats d'intrants – très onéreux quand il y en a en vente. Sans engrais, les cultures vont afficher de faibles rendements.
Les banques ukrainiennes ne pourront pas indéfiniment soutenir financièrement les entreprises agricoles en leur accordant des prêts à taux zéro. La situation pourrait conduire à la faillite de nombreuses d’entre elles. Des centaines de milliers d’emplois sont menacés et des millions d’hectares pourraient devenir des friches.
L’hémisphère sud n’est pas en mesure de prendre le relais sur les marchés des céréales et rééquilibrer l’offre de grains.
En Amérique du Sud, les nouvelles en provenance d’Argentine ne sont pas bonnes et pourtant elles ne font pas réagir. L’attention des opérateurs est focalisée sur le bassin de la Mer Noire.
Or le pays ne produirait que 13,5 Mt selon certaines sources argentines. Or l’an passé, 22,5 Mt de blé avaient été récoltées, selon le Conseil international des céréales.
En Australie, les précipitations du mois d’octobre dernier pourraient altérer la qualité des grains. La récolte est pour l’instant estimée à 33,5 Mt, en retrait de 3 Mt sur un an. Mais 2021 avait été une année exceptionnelle !